Aller au contenu principal

InformationsPublié le 13 mars 2025

Utiliser les armes de la nature pour assainir les sols pollués par des explosifs ?

En Suisse, le sol de nombreux sites est pollué avec de la munition ou des résidus de munition. Afin d’assainir ces sites et de rétablir au mieux l’écosystème concerné, des méthodes innovantes sont aujourd’hui nécessaires. Dans un projet de recherche, la capacité de biodégradation de certains micro-organismes est sous la loupe : les bactéries et les champignons pourraient-ils être la clé du problème ?

Dr Anne-Laure Gassner, domaine spécialisé Matières explosives et surveillance des munitions, et Lucas Ballerstedt, état-major, domaine de compétence Science et technologies

micro-organismes

En bref

Dr Anne-Laure Gassner est une chef de projet scientifique dans la domaine spécialisé Matières explosives et surveillance des munitions chez armasuisse Sciences et technologies (S+T). Elle assume la responsabilité de projets de recherche. Dans son article, elle donne des informations sur la capacité de biodégradation de certains micro-organismes pour d’assainir ces sites et de rétablir au mieux l’écosystème concerné.

Partout dans le monde, de nombreux endroits sont pollués par des munitions ou des résidus de munitions. Dans notre pays, trois types de sites sont concernés par cette problématique : les lacs suite à l’immersion de munitions ou à leur utilisation comme cible d’exercices, les sites d’explosions accidentelles et finalement les places de tir où des exercices ont régulièrement lieu. Ce projet, qui s’intéresse à l’assainissement de la terre polluée par des explosifs, se focalise par conséquent uniquement sur les deux dernières thématiques.

Des quantités importantes de plomb se trouvent sur les places de tir suite à leur longue utilisation par l’armée suisse. Outre le plomb, d’autres métaux lourds comme le cuivre ou l’antimoine peuvent également être présents. Par exemple, une cartouche de GP 90 contient environ 3 grammes de plomb. Sachant qu’en 2021, quelque 25,6 millions de GP 90 ont été tirés, le potentiel de pollution en l’absence de mesures de protection ou de ramassage est conséquent. Mais les munitions contiennent également des explosifs organiques, comme le TNT. Ainsi, une grenade à main contient déjà plus de 100 grammes d’explosif. Étant donné que le processus d’explosion n’est pas parfait, il est probable que des résidus d’explosifs et de poudre soient également présents sur les places de tir.

Assainissement : quelles sont les options ?

Si un site doit être assaini, trois options sont disponibles : dans un procédé « hors site », le sol contaminé est excavé, transporté et traité à l’extérieur du site. Un procédé « sur site » suit les mêmes étapes, à l’exception du traitement qui a lieu dans une installation aménagée à même le site. La dernière option est le traitement « in situ », qui ne requiert ni excavation, ni transport. Celle-ci consiste à éliminer ou à immobiliser les polluants sans déplacement de matériel, laissant le sol intact à l’issue du traitement

Pour éliminer les polluants, il existe de nombreux procédés in situ, parmi lesquels on trouve les méthodes biologiques. Celles-ci exploitent la biodégradabilité des polluants sous l’effet de micro-organismes : c’est-à-dire que ces derniers vont transformer chimiquement les polluants organiques pour en obtenir de l’énergie, autrement dit qu’ils vont se nourrir des polluants présents dans la terre. Idéalement, le but est de dégrader un composé en ses composants minéraux, les briques de base qui pourront être à nouveau utilisées par les plantes. C’est ce qu’on appelle la minéralisation.

Le but de ce projet de recherche est ainsi d’évaluer si les méthodes d’assainissement biologiques pourraient être appliquées à la dégradation des explosifs présents dans le sol. Il faut savoir que la biodiversité du sol est très complexe. De fait, il peut y avoir environ un milliard de bactéries, et entre 2000 et 10 000 espèces bactériennes dans un gramme de sol. Certaines d’entre elles pourraient avoir acquis la capacité à dégrader quelques explosifs. Les micro-organismes actifs dans la dégradation peuvent être déjà présents dans la terre du site pollué, et on parle alors de biostimulation ou on peut ajouter des micro-organismes exogènes (bioaugmentation). Cependant, il ne suffit pas de trouver les micro-organismes adéquats et de simplement les disperser dans le sol. Il est essentiel d’optimiser leurs conditions de travail et notamment stimuler leur activité en leur fournissant des nutriments. Il faut également qu’ils soient non pathogènes pour l’humain (groupe 1), condition incontournable pour être utilisés en bioremédiation.

Classification des micro-organismes:
les micro-organismes sont classés en quatre groupes différents en fonction des risques qu’ils représentent pour les humains et l’écosystème en général. Plus la classification est élevée, plus le risque de pathogénicité pour l’humain et de dissémination est important. Dans le domaine de la bioremédiation, seuls les micro-organismes du groupe 1, non pathogènes et sans risque de dissémination, sont utilisés.

Quelles sont les étapes du projet ?

Ce projet est une collaboration avec la société TIBIO, active dans la biotechnologie environnementale et le conseil scientifique. Il est divisé en cinq étapes qui commencent par des expériences de laboratoire, à petite échelle, pour se rapprocher à chaque nouvelle étape des conditions réelles d’application. La première étape consiste à trouver des micro-organismes capables de dégrader les explosifs d’intérêt. Pour cela un site a été choisi comme source potentielle en raison de la présence de résidus d’explosifs dans le sol. De plus, comme le site choisi est resté intouché durant une longue période, il est possible que des micro-organismes locaux aient appris à se nourrir des polluants. À cet effet, trois échantillons de sol sont prélevés à l’intérieur de ce site. Les micro-organismes capables de survivre en présence d’explosifs sont ensuite isolés et identifiés. Dans la deuxième étape, les micro-organismes sélectionnés seront cultivés en plus grande quantité pour évaluer les coûts d’utilisation à large échelle du mélange de traitement. En effet, si la bioremédiation s’avérait plus onéreuse qu’une remédiation ex situ, il serait difficile de justifier son application. Ensuite, des essais de bioremédiation auront lieu au laboratoire. Ce sera alors le moment d’évaluer l’efficacité de la biodégradation et vérifier que les produits de dégradation ne sont pas plus toxiques que les substances de départ. Si une dégradation d’au moins 50 % de la concentration initiale de polluant est obtenue, les premiers essais sur une petite parcelle pourront être réalisés. Finalement, une bioremédiation à échelle réelle pourra avoir lieu.

Un symbole est représenté pour chaque étape.

Conclusion et perspectives

Actuellement, le projet vient de terminer la deuxième étape avec succès et les premiers tests de dégradation en laboratoire devraient être initiés dans les prochains mois. Cependant, chaque étape comprend son lot de défis et d’obstacles qui pourraient bloquer le projet et nécessiter de repartir à la case départ.

Plus d'informations