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Quand une seconde dure une éternité

Ordinateur, smartphone ou horloge du four : tous affichent la même heure. Mais qu’entend-on par la « même » heure ? Si au quotidien, un petit décalage peut passer inaperçu, cela peut représenter une éternité pour les systèmes de capteurs complexes. Pour une synchronisation aussi précise que possible, armasuisse Sciences et technologies teste une nouvelle méthode : White Rabbit. Celle-ci vise à assurer une synchronisation plus « robuste » qu’avec les méthodes courantes.

Christof Schüpbach, Communication et protection électromagnétique, armasuisse Sciences et technologies

Trois poignets avec la même montre numérique, mais des heures qui diffèrent légèrement.
La synchronisation temporelle passe souvent inaperçue en arrière-plan. Selon la méthode de mesure, les indications sont plus ou moins précises et ne conviennent donc pas à toutes les applications.

« Synchronisation des montres ! » Scène typique dans les anciens films d’espionnage : les agents synchronisent leurs montres avant une opération importante pour que la bombe explose au moment prévu. L’action est moins spectaculaire, mais le réglage de l’heure s’inscrit encore dans le quotidien de nombreuses personnes. Si, autrefois, nous nous basions sur l’horloge de la gare ou sur le top horaire de la radio pour avoir l’heure exacte, cela n’est plus vraiment une préoccupation de nos jours. Nos montres et autres gadgets sont tous connectés et ajustent automatiquement l’heure via Internet. Mais nos montres sont-elles parfaitement synchronisées et quelles autres applications nécessitent l’heure exacte ?

Synchronisation temporelle au millionième et au milliardième

Notre compréhension intuitive du temps est plutôt limitée, et dans le langage courant, une « fraction de seconde » est généralement la plus petite unité. D’ordinaire, nos appareils électroniques comme les smartphones et les ordinateurs sont tout au plus synchronisés à plusieurs millièmes de seconde près. C’est largement suffisant au quotidien. Néanmoins, les exigences sont considérablement plus élevées pour les applications professionnelles. Dans la finance, par exemple, on cherche à synchroniser l’achat et la vente de titres au millionième de seconde afin d’optimiser les gains.

Les systèmes de capteurs militaires doivent être synchronisés avec encore plus de précision, à savoir au milliardième de seconde, pour localiser la source des signaux radio. Mais comment atteindre une telle précision ?

Mesure du temps par GPS

Dans la plupart des cas, on recourt à des systèmes de navigation par satellite comme le Global Positioning System (GPS). Ces systèmes déterminent simultanément le temps et le lieu, permettant à un récepteur GPS de fournir une heure précise à quelques milliardièmes et de la communiquer aux autres systèmes. Cette forme de synchronisation temporelle est en principe très intéressante puisqu’elle est utilisable partout dans le monde et mobile. Malheureusement, elle présente aussi des inconvénients critiques, le principal problème étant sa forte sensibilité aux interférences. Même les brouilleurs les plus basiques peuvent couvrir un signal GPS et le rendre inexploitable pour le récepteur. Un autre problème réside dans la dépendance vis-à-vis des exploitants de ces systèmes de satellites. De plus, les dernières technologies de brouillage permettent même de duper les récepteurs. Des lieux et heures peuvent ainsi être simulés pour tromper les systèmes de capteurs de manière ciblée. Il est donc primordial de disposer d’une alternative plus robuste pour les applications militaires.

Le principal problème (de la synchronisation horaire basée sur le GPS) est la forte sensibilité aux interférences. Même les brouilleurs les plus basiques peuvent couvrir un signal GPS et le rendre inexploitable pour le récepteur

 

White Rabbit : une alternative pour des mesures plus précises

L’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) avait elle aussi des exigences élevées en matière de mesure du temps en plusieurs emplacements dans le cadre de la rénovation de son accélérateur de particules. Au lancement du projet, chaque technologie nécessitait une infrastructure spécifique devant être reliée aux autres au moyen de câbles spéciaux. L’infrastructure globale étant de toute manière reliée par un réseau de données conventionnel, les scientifiques se sont fixés pour objectif de parvenir à une synchronisation à moins d’un milliardième de seconde près via ce même réseau, soit un niveau de précision très difficile à atteindre avec des réseaux conventionnels. Cette nouvelle technologie a atteint cet objectif et peut même fournir une précision de quelques picosecondes, soit un billionième de seconde, lorsque les conditions sont favorables. Le projet a été baptisé « White Rabbit » en référence au lapin d’Alice au pays des merveilles.

Actuellement, la méthode White Rabbit est déjà implémentée dans certains périphériques réseau disponibles dans le commerce. Son utilisation n’est toutefois pas encore très répandue, et on manque d’expérience pour déterminer ses limitations et les conditions dans lesquelles elles se produisent. De telles limitations peuvent notamment survenir lorsque certains composants comme des répéteurs ou des routeurs sont utilisés sur un réseau. On ne sait justement pas si les composants plus anciens sont compatibles avec White Rabbit ou s’ils pourraient dégrader la synchronisation. C’est précisément ce qu’étudient les collaborateurs d’armasuisse Sciences et Technologies (S+T). Ils veulent déterminer si cette nouvelle technologie White Rabbit peut être utilisée sur les réseaux actuels de l’armée et, le cas échéant, les éventuelles restrictions ou modifications nécessaires.

Premiers tests de White Rabbit avec des partenaires de recherche civils

armasuisse S+T réalise les premiers tests avec la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg. Une topologie réseau est créée en laboratoire telle qu’elle se présenterait dans un scénario typique couvrant toute la Suisse et impliquant plusieurs nœuds. Divers composants peuvent ainsi être remplacés individuellement pour tester leur influence sur la précision. Les connaissances acquises serviront ensuite dans le cadre de l’implémentation de White Rabbit dans le Réseau de conduite suisse afin qu’à l’avenir, les systèmes de capteurs de l’armée ne dépendent plus de systèmes de navigation par satellite peu fiables.

Comment fonctionne la localisation des signaux radio ?

La localisation des signaux radio consiste à utiliser des capteurs pour mesurer le temps d’arrivée des signaux en différents endroits. Les ondes radio se propageant à la vitesse de la lumière, il est possible de calculer le lieu d’origine du signal sur la base des différences de temps mesurées. Exemple : la lumière parcourt 30 cm en un milliardième de seconde. Pour déterminer l’origine du signal à quelques mètres près, il faut donc aussi mesurer le temps d’arrivée au niveau du capteur à quelques milliardièmes.