Analyse de toxines en cas de crise
Substances toxiques naturelles produites par des organismes vivants, les toxines peuvent provoquer de graves intoxications. En très faibles quantités déjà, certaines toxines sont mortelles pour l’être humain. Leur utilisation dans le cadre d’une attaque bioterroriste constitue donc une menace réelle. Depuis une vingtaine d’années, le Laboratoire de Spiez met en évidence et caractérise les toxines. Pour être en mesure d’analyser rapidement un grand nombre d’échantillons en cas de crise, le laboratoire améliore régulièrement ses méthodes de travail, entre autres grâce à un projet de recherche d’armasuisse Science et technologies.
Dr Corina Beerli, domaine spécialisé Gestion de la recherche et recherche opérationnelle, domaine de compétences Sciences et technologies et Dr. Matthias Wittwer, chef groupe protéomique, Bioinformatique et toxines, Laboratoire de Spiez

Projet de recherche « Toxines »
Les toxines sont des substances très toxiques qui peuvent aussi être utilisées à des fins bioterroristes. La mise en évidence de toxines dans des échantillons cliniques et environnementaux est un processus très lourd. De nouvelles méthodes et l’automatisation au sein du Laboratoire de Spiez permettent désormais d’analyser de nombreux échantillons en même temps, en cas de crise.
Présence dans la nature et utilisation des toxines
Les toxines sont largement répandues dans la nature. Elles permettent principalement aux animaux et aux plantes de se défendre contre leurs prédateurs. Les micro-organismes comme les bactéries produisent eux aussi des toxines très efficaces pour induire un effet pathogène. D’origine bactérienne, la neurotoxine botulique est la substance la plus toxique connue à ce jour. Un millionième de gramme provoque déjà de graves paralysies musculaires qui sont fatales pour l’être humain. Cette neurotoxine est néanmoins utilisée par les chirurgiens esthétiques, en quantités infinitésimales, sous l’appellation de Botox. La consommation d’aliments contaminés par des bactéries est la première cause d’empoisonnements aux toxines. Les laboratoires cantonaux et les centres de référence nationaux surveillent la sécurité des aliments car certaines toxines sont extrêmement nocives. Les contaminations avec des bactéries produisant des toxines doivent être annoncées aux autorités.
Les toxines, une arme biologique
S’agissant de la sécurité intérieure, certaines toxines sont inscrites sur des listes internationales de substances soumises à des contrôles stricts à l’exportation et dont la diffusion en tant qu’arme biologique doit être empêchée. C’est en particulier le cas de la ricine, un poison végétal, et de la saxitoxine, qui peut se trouver dans les moules, qui présentent toutes deux un potentiel bioterroriste élevé. L’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC) a inscrit ces deux toxines sur la liste des substances considérées comme particulièrement dangereuses. À l’instar d’autres puissants toxiques de combat, comme le sarin ou le gaz moutarde, elles sont soumises aux dispositions de la Convention sur les armes chimiques. Contrairement aux armes chimiques, les toxines n’ont toutefois jamais été utilisées à grande échelle lors de conflits armés, et ce en dépit de programmes d’armes biologiques étatiques parfois de grande ampleur. Les toxines constituent néanmoins des armes pouvant être utilisées à des fins terroristes de manière ponctuelle car il est facile de s’en procurer. C'est d’autant plus vrai pour la ricine, que l’on trouve sous une forme concentrée dans les résidus de pressage issus de la production d’huile de ricin.
Lors de l’attaque terroriste déjouée à Cologne en 2018, 3150 graines de ricin, 84 milligrammes de ricine et du matériel de fabrication d’un engin explosif ont été retrouvés dans l’appartement d’un islamiste. Selon une expertise, cette quantité aurait suffi pour tuer plus de dix mille personnes. Aux États-Unis, des lettres piégées à la ricine ont été envoyées ces vingt dernières années à des politiques de haut rang, dont l’ancien président Barack Obama. En raison de ces événements, l’utilisation des toxines pour une attaque bioterroriste est jugée plus probable que l’utilisation de virus ou de bactéries.
Analyse de toxines au Laboratoire de Spiez
Le département de biologie du Laboratoire de Spiez œuvre pour la protection contre les menaces biologiques, comme les toxines et les agents pathogènes déclenchant des maladies dangereuses. Le laboratoire étudie comment ces agents pathogènes et toxines provoquent des maladies et se diffusent. Il travaille également à leur mise en évidence et à leur caractérisation. Le Laboratoire de Spiez propose cette analyse pour un ensemble sélectionné d’agents pathogènes et de toxines sur des échantillons cliniques et des échantillons environnementaux. Plusieurs méthodes d’analyse de différentes caractéristiques sont en principe nécessaires pour identifier de manière univoque les agents biologiques tels que les bactéries, les virus ou les parasites selon des normes internationales. Dans le cas des toxines, l’analyse se déroule comme suit : pendant une première étape, les collaboratrices et collaborateurs isolent la substance de l’échantillon à l’aide d’un processus biochimique et identifient la substance par une analyse hautement sensible. Ils déterminent ensuite si la toxine est encore active au niveau biologique et donc fonctionnelle. À cette fin, ils vérifient, par exemple à l’aide de cultures cellulaires, si la toxine provoque des dommages sur les cellules. Enfin, ils caractérisent la structure de la toxine par une spectrométrie de masse, un procédé qui détermine la masse des atomes ou des molécules. La qualité de ces méthodes d’analyse est vérifiée régulièrement à l’occasion d’essais internationaux, pendant lesquels différents instituts de recherche européens reçoivent en même temps, à des fins d’analyse, un échantillon de toxine inconnue. Le Laboratoire de Spiez fait à chaque fois très bonne figure et compte ainsi parmi les instituts de recherche leaders dans ce domaine.
Automatisation en cas de crise
Auparavant, le Laboratoire de Spiez analysait des toxines principalement à petite échelle et avec du personnel hautement spécialisé. La crise du Covid-19 a toutefois révélé la nécessité d’analyser de nombreux échantillons dans des cas critiques. Les situations de ce type représentent un défi majeur, à savoir maintenir le procédé et la qualité de l’analyse des toxines sur une longue période en évitant les erreurs. C’est précisément là qu’entre en jeu le projet de recherche « Next Generation Toxin Detection » soutenu par armasuisse Science et technologies. Ce projet vise à automatiser le traitement des échantillons autant que possible et à standardiser l’analyse des toxines. À cette fin, le Laboratoire de Spiez a pu acquérir, grâce à l’assistance et aux connaissances techniques des collaboratrices et collaborateurs d’armasuisse, un appareil d’analyse permettant de traiter une centaine d’échantillons en même temps. Par ailleurs, le laboratoire met actuellement en place un système d’information qui représente l’ensemble du processus d’analyse et permet de suivre les échantillons de leur réception à l’établissement des rapports de contrôle. Selon la toxine, il est possible de différencier et optimiser spécifiquement les méthodes d’analyse sélectionnées. Dans un premier temps, le Laboratoire de Spiez met en place un processus de travail pour la ricine et la neurotoxine botulique, deux toxines à haut risque du point de vue du bioterrorisme. L'analyse automatisée de toxines micromoléculaires comme les saxitoxines sera mise en place lors d’une étape ultérieure. Les méthodes d’analyse hautement standardisées et automatisées permettent de former les militaires pendant des cours de répétition. En cas de crise, le Laboratoire de Spiez peut donc en très peu de temps accélérer les analyses de toxines grâce au soutien des troupes NBC et garantir un débit plus élevé d'analyse d’échantillons pendant une période prolongée. Ce projet de recherche commun entre le Laboratoire de Spiez et armasuisse Science et technologies peut donc être considéré comme une réussite.