print preview

De nouvelles approches pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain

Depuis plusieurs années, l’innovation est sur toutes les lèvres – y compris dans les départements de la défense de ce monde. Dans le domaine des techniques d’armement, les multiples visages de l’innovation possèdent un dénominateur commun : des technologies et applications civiles conduisent aujourd’hui à des avancées significatives, ce qui n’était pas le cas par le passé. Bien souvent, celles-ci ne sont affectées à un usage militaire que dans un second temps. Ce phénomène se caractérise par des cycles de développement plus courts et évolutifs, adaptés au marché civil, et l’apparition de nouveaux fournisseurs de solutions qui, jusque-là, ne faisaient pas partie de l’industrie de défense classique. De nouvelles méthodes et approches sont nécessaires pour répondre aux défis liés à cette évolution.

Urs Böniger, Innovation et processus, armasuisse Sciences et technologies

L’exemple suivant est fictif et purement illustratif. Il ne correspond pas à des projets actuels de l’Armée suisse.

Vue de profil d’un membre de l’armée portant des lunettes de réalité virtuelle.
L’innovation permet de répondre aux défis du DDPS.

Les espaces d’innovation du DDPS permettent de chercher des solutions novatrices et adaptées aux besoins, afin de répondre aux défis existants et notamment aux lacunes actuelles et futures en matière de capacités. Les utilisateurs finaux sont impliqués dans le processus dès le départ de manière à éviter de mauvais investissements et obtenir des solutions plus durables pour tous les services concernés.

Selon les projections des Nations Unies (ONU), près de 70 % de la population mondiale vivra en zone urbaine en 2050. D’après les analyses de l’ONU, cette évolution s’explique entre autres par le fait que la pauvreté diminue avec l’urbanisation croissante. En effet, vivre en ville ou en périphérie urbaine augmente les chances de trouver du travail ; de plus, la qualité de vie est améliorée grâce à des infrastructures développées et la productivité augmente. Cette tendance contribue au rôle toujours plus important joué par les villes dans le fonctionnement des nations. Selon l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et les politiciens et politiciennes du domaine de la défense, si des conflits se sont déjà déroulés occasionnellement en milieu urbain, ils concerneront de plus en plus les villes à l’avenir. Que signifie cette évolution pour l’armée du futur et quel est le rapport avec l’innovation ?

La voie de l’innovation

Petra Schneider se penche sur ces questions depuis un certain temps déjà. En effet, elle dirige depuis plus de dix ans le domaine Développement des systèmes d’exploration et de surveillance pour l’Armée suisse. Et se voit actuellement confrontée à un défi majeur : les scénarios de menace se déplaçant de plus en plus des terrains découverts vers les terrains bâtis, de nouvelles capacités militaires doivent être développées. Les systèmes militaires classiques, essentiellement axés sur les combats en terrain découvert, sont peu utiles dans les rues étroites d’une ville. Comment satisfaire aux exigences du futur ?

Pour répondre à cette question, Mme Schneider a examiné une multitude de solutions commerciales de l’industrie de défense – des détecteurs de mouvement au capteurs optiques interconnectés, en passant par bien d’autres choses – et connaît dès lors leurs avantages et inconvénients. À ses yeux, toutefois, ces solutions ne satisfont pas aux exigences militaires et ne sont pas en adéquation avec le budget disponible. Les solutions disponibles jusqu’à présent ne la convainquent pas, notamment en raison du développement de l’apprentissage automatique et de la mise en réseau croissante des appareils, qu’elle observe chaque jour dans l’environnement civil. Ce sont précisément ces doutes et la recherche d’alternatives qui l'ont amenée à s'intéresser aux espaces d’innovation du DDPS.

Les espaces d’innovation du DDPS sont des procédures ouvrant la voie à des idées et concepts innovants et permettant, le cas échéant, d’intégrer des solutions non conventionnelles dans des projets d’acquisition du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports DDPS.


Mme Schneider a alors contacté un collaborateur d’armasuisse Sciences et technologies (S+T) et s’est entretenue avec lui des possibilités qu'offre un espace d’innovation. La définition du besoin militaire concret est la condition de base pour l’initialisation d’un espace d’innovation. Les espaces d’innovation du DDPS doivent permettre à ce dernier de mettre à profit la capacité d'innovation des industries et universités nationales ou internationales. Concrètement, les espaces d’innovation du DDPS se composent de différents instruments indépendants. Ils permettent de trouver des réponses lors des différentes étapes du processus conduisant à la solution, pour les intégrer ensuite à la planification ou au processus d’acquisition. Souvent, au début de ce processus, l’approche la plus avantageuse n’est pas connue ou n’apparaît pas clairement.

Séduite par le concept des espaces d’innovation, Mme Schneider a contacté le service compétent du DDPS. Ce sont les échanges avec des collègues de la planification de l’armée et de la doctrine ainsi qu’avec les utilisateurs militaires du commandement des opérations qui ont permis de préciser les besoins en matière d’innovation et de les adapter aux possibilités des espaces d’innovation du DDPS. Mme Schneider a ainsi été rapidement en mesure de soumettre sa demande, qui porte sur les capteurs et le développement des capacités militaires en zone urbaine.

Démarche d’initiation d’un espace d’innovation

Une réponse positive lui est parvenue après une semaine à peine : sa demande d’initiation d’un espace d’innovation du DDPS avait été acceptée par l’instance compétente, l’Innovation Board Défense. Ce qui signifie que l’évaluation des défis technologiques et le potentiel de la mise en œuvre d’un espace d’innovation avaient été reconnus. Quelques semaines plus tard, elle a participé à un atelier auquel assistaient également l’armée en sa qualité d’utilisatrice, les experts en technologie de S+T et le service d’achat. L’objectif était d’analyser encore une fois le besoin dans son ensemble, de définir les conditions cadres et de choisir l’espace d’innovation adéquat. L'atelier enseignait notamment que les espaces d’innovation ne sont pas des espaces physiques ou des projets, mais des instruments spécifiques permettant de trouver des solutions, de les développer et de les tester. Chaque espace poursuit un objectif différent et aide à trouver des réponses aux questions menant à la solution.

En se fondant sur les enseignements de l’atelier, le groupe est parvenu à la conclusion qu’un concours était l’espace d’innovation le plus approprié. Et ce, parce que la solution répondant au besoin concret de Mme Schneider n’était pas connue, ou encore inconnue sous cette forme. En outre, un concours peut avoir lieu à plusieurs niveaux et représente de ce fait une possibilité intéressante de trouver une solution. Dans le même temps, le groupe a constaté que le milieu civil et le milieu de la sécurité au sens large étaient confrontés à des questions similaires et que l’industrie ainsi que les hautes écoles pourraient contribuer pour beaucoup à la solution.

Faire vivre l’espace d’innovation

Après cela, il a fallu créer un groupe d’experts indépendants chargé d’évaluer les solutions, d’élaborer les documents de mise au concours et de préparer la communication. La rédaction du cahier des charges fonctionnel, en particulier, s’est révélée un processus itératif vraiment passionnant, le descriptif des prestations devant être aussi restrictif que nécessaire tout en restant le plus ouvert possible. L’équipe a dû se pencher plus avant sur les questions posées. Ses membres en ont tiré de nouveaux enseignements, et en particulier Mme Schneider qui étudiait pourtant le sujet depuis des années. Les documents requis ont ainsi pu être élaborés et le concours a été annoncé publiquement. Curieuse de voir comment le marché allait réagir au concours et si des solutions seraient proposées, Mme Schneider s’est connectée chaque jour à la plateforme des marchés publics pour vérifier si des solutions avaient déjà été soumises. Elle a été à la fois surprise et ravie de constater après dix jours à peine que non moins de 16 propositions émanant de divers secteurs économiques – pour certains inattendus – et suggérant des approches très différentes, avaient été déposées.

Mise en œuvre de l’espace d’innovation

Une fois le délai de dépôt des offres écoulé, la phase d’évaluation a pu commencer. Le comité d’experts a examiné les solutions proposées en fonction de critères connus et définis au préalable. Mme Schneider a pu constater que certains points faisaient immédiatement l’unanimité. Pour d’autres, en revanche, les experts ont émis des estimations et des avis divergents qu’ils ont transposé dans une évaluation consolidée. L’espace d’innovation « Concours » étant un processus en plusieurs étapes, seules les offres correspondant aux critères et évaluées positivement par le comité d’experts indépendants participent à la phase suivante. Après la présélection, seuls cinq des soumissionnaires (short list) ont été pris en considération pour la seconde phase du concours lancé par Mme Schneider : le concept de solution. Ces cinq soumissionnaires ont pu développer leurs solutions au cours des mois suivants. En collaboration avec les experts et expertes d’armasuisse Sciences et technologies, le comité a accompagné la troisième et la quatrième phase (développement de prototypes et validation dans l’environnement opérationnel) et procédé à des essais répétés. Un an seulement après le lancement du projet, Mme Schneider a pu présenter les résultats de la quatrième phase au commandement de l’armée. Elle était en mesure d’afficher à l’écran un plan de situation avec des symboles d’objets se déplaçant à différentes vitesses. Le plus fascinant, toutefois, était qu’elle pouvait suivre les véhicules ou personnes même à l’intérieur des bâtiments, tout en affichant une description de ces objets. Et ce, en recourant à des capteurs déjà disponibles. La présentation de ces résultats a convaincu les personnes présentes.

Et c’est ainsi qu’une solution s’est clairement imposée au terme de la quatrième phase. Cette solution était basée sur des capteurs existants, mais de différents types, à même de détecter les contours caractéristiques des objets et de constater leur position et leur déplacement. Simultanément, cette solution permettait d’affirmer avec une forte probabilité de quel type d’objet il s’agissait. Mme Schneider s’étant déjà penchée par le passé sur le sujet de l’apprentissage automatique, elle a constaté avec plaisir que les progrès réalisés dans ce domaine étaient tels qu’il était possible de transposer les enseignements du milieu civil dans l’environnement militaire. Ce qui l’a surprise, en revanche, c’est le secteur d’activité du gagnant. En effet, il s’agit d’une entreprise du domaine industriel, opérant à l’origine dans le secteur de la surveillance de l’état des machines. Celle-ci a néanmoins été en mesure de prouver au cours des différentes phases qu’elle disposait de l’expertise et des ressources requises pour transformer le prototype intégré en produit.

Mise à profit de l’espace d’innovation

Le groupe d’experts a par conséquent estimé qu'il pouvait recommander l’achat de cette solution. La démonstration extrêmement réussie du prototype intégré, c’est-à-dire combinant tous les éléments pertinents dans un environnement opérationnel réel, a également convaincu l’lnnovation Board Défense, qui a approuvé l’acquisition de cette solution.

Mme Schneider considère quant à elle que sa démarche a été une réussite totale. L’utilisation de capteurs existants permet de limiter considérablement les coûts d’acquisition. En outre, la recherche de solutions dans le cadre d’un espace d’innovation lui a fait découvrir un potentiel qu’elle n’aurait jamais imaginé. L’espace d’innovation a permis de relever grâce à une idée novatrice un défi lancé par le DDPS et de présenter une solution.

Le DDPS dispose ainsi de méthodes alternatives permettant de répondre collectivement aux défis d’aujourd’hui et de demain.

De la fiction à la réalité

Cet exemple, si fictif soit-il, montre que de nouvelles approches sont possibles. Ces approches, nous les appelons les espaces d’innovation du DDPS. Ils sont développés par armasuisse Sciences et technologies pour être ensuite mis à la disposition de tout le DDPS. Actuellement, les espaces d’innovation du DDPS se composent des instruments suivants : le concours, le booster, les idea labs, la sandbox et le test run. Toutefois, il est important de les adapter sans cesse en fonction des besoins et, si nécessaire, de développer de nouvelles approches pour trouver la solution requise.

Objectif des espaces d’innovation

Les espaces d’innovation du DDPS permettent aux collaborateurs et collaboratrices d’armasuisse Sciences et technologies de chercher, développer et évaluer des solutions inédites en collaboration avec l’armée et des tiers (hautes écoles et secteur privé) et de les exploiter de manière à répondre aux défis du DDPS.